Quels actifs commerciaux pour les investisseurs et enseignes demain ?

Suivre au plus près le marché du retail et les transformations actuellement à l’œuvre font partie des missions d’Accessite. Pour alimenter davantage encore sa réflexion, le leader de la gestion d’actifs commerciaux pour compte de tiers a organisé un afterwork, le 8 juin dernier. Une analyse chiffrée et tendancielle du marché de l’investissement retail, ainsi que deux tables rondes sont venues répondre à une question cruciale pour tous les acteurs de l’immobilier commercial : quels actifs commerciaux pour les investisseurs et enseignes, demain ?

État du marché, enjeux et tendances : rapide décryptage du département Conseil d’Accessite

Le marché de l’investissement immobilier

Sur le marché de l’investissement immobilier, toute typologie d’actif confondue, une baisse brutale est observée depuis 2019, avec un nouveau décrochage en 2022. Au premier trimestre 2023, la chute est même de 40 % par rapport à la même période l’an dernier, pour un montant total d’investissement de 3,4 Md€. 

S’agissant de l’immobilier commercial, l’année 2022  s’est, en revanche, clôturée sur une belle dynamique, avec 5,7 Md€ investis. Faisant de cette année l’une des 3 meilleures depuis 10 ans, avec quelques grosses opérations telles que Carré Sénart, Cours Oxygène ou encore Enox pour ne citer qu’elles. D’année en année, nous observons que les centres commerciaux portent de moins en moins le marché ; les investissements se tournant davantage vers les commerces de pied d’immeuble et plus récemment vers les retail parks, les hypermarchés et supermarchés.

Les enjeux des investisseurs

Un sondage issu d’une enquête de PWC effectué en 2022 interrogeait les grands leaders de l’investissement immobilier européen sur leurs enjeux à court et moyen/long terme. Les 3 préoccupations majeures perçues par ces acteurs sont tout d’abord les coûts de production (92 %), ensuite les disponibilités de ressources (84 %) et enfin les exigences en matière de durabilité environnementale. 

Il apparait toutefois étonnant que 55 % des investisseurs considèrent la durabilité environnementale comme un enjeu de moyen/long terme. Les règlementations actuelles vont-elles changer ce prisme ?

Les choix d’investissement dans l’immobilier commercial pourraient en effet sans doute être affectés par les réglementations suivantes dans les prochaines années :

  • La zéro artificialisation nette (ZAN), issue de la loi Climat & Résilience du 22 août 2021, formule un double objectif : 1/ réduire de moitié le rythme d’artificialisation nouvelle entre 2021 et 2031 par rapport à la décennie précédente et 2/ atteindre d’ici à 2050 une artificialisation nette de 0% (ZAN), c’est-à-dire au moins autant de surfaces « renaturées » que de surfaces artificialisées.
  • Le décret tertiaire, institué par la loi Élan, vise la réduction de la consommation d’énergie dans les bâtiments tertiaires. Il invite les bailleurs et les preneurs à travailler ensemble afin de définir autant que possible conjointement dans les baux les actions qu’ils doivent mener pour respecter les objectifs fixés.
  • La loi d’orientation des mobilités, avec l’obligation pour les propriétaires des bâtiments non résidentiels existants comprenant un parking de plus de 20 places, de mettre à disposition des points de recharge sur les emplacements de stationnement, avant le 1er janvier 2025.
  • Enfin, la loi relative à la production d’énergies renouvelables du 10 mars 2023, avec deux volets, panneaux photovoltaïques et végétalisation des toitures. 

L’investissement dans les commerces

Les surfaces commerciales en projet subissent une baisse tendancielle depuis 2009 où elles atteignaient plus de 8 millions de m², pour atteindre 2,5 millions de m2 prévus sur 2023 d’après un recensement réalisé annuellement par Procos. Ces fortes évolutions entérinent les profondes mutations du commerce à venir. En effet, l’immobilier commercial est appelé à se transformer avec de moins en moins de projets 100% commerce et davantage de restructurations/repositionnements d’actifs visant à accompagner l’évolution des modes de vie et tendances de consommation.

En termes de performances, les enseignes voient l’évolution de leur CA à périmètre constant retrouver quasiment les niveaux de 2019. Pour autant, sur le long terme, le marché reste sur une tendance baissière et 2022-2023 sont  marquées par plusieurs restructurations d’enseignes importantes, voire de fermetures pour certains réseaux.

Les tendances de consommation 

Tandis que le secteur de l’équipement de la personne représente en moyenne actuellement 30 % du CA des centres commerciaux, la seconde main fait un boom notamment dans le prêt à porter. Tout secteur d’activité confondu, la seconde main a généré 7 Md€ en France l’an dernier. Si cela ne représente « que » 4 % du CA du commerce, les prévisions laissent entrevoir une forte progression dans les 5 prochaines années, de l’ordre de 15 à 20 % par an.

Autre segment en croissance, le sport et les loisirs. Les ventes d’articles de sport dans le monde devraient encore augmenter de 30 % d’ici à 2025. Les 3 principales enseignes nationales affichent une croissance à 2 chiffres : Décathlon (+12 %), Intersport (+16 %) et Sport 2000 (+ 12 %). Sur cette verticale, l’escalade regarde vers les sommets avec déjà 200 salles et 3 M de pratiquants. Le fitness avec 5 000 salles et 6,5 M d’abonnés fait également la course en tête. Enfin, l’univers du cycle, avec 2,6 M de vélos vendus en France en 2022, affiche une croissance exponentielle de +90 % vs 2019 et compte déjà 3 000 points de vente. 

Les tendances de marché évoquées dans ce rapide décryptage mettent en évidence une hybridation du commerce d’ores et déjà en cours mais qui semble s’accélérer. Quelques exemples en témoignent : ainsi Grand Angle, rue marchande de Montreuil au cœur d’un nouvel espace public recréé en 2012. Promenade Sainte-Catherine en hypercentre de Bordeaux, de plus en plus apparentée à un véritable lieu de vie ou encore le tiers-lieu Darwin toujours à Bordeaux, aujourd’hui intégré au circuit touristique de la ville. Les concepts thématiques se multiplient également comme les halles alimentaires Biltoki ou le centre commercial WOW, à Madrid, dont les codes et le fonctionnement ciblent la Gen Z.  Ce coup d’œil synthétique sur la pluralité des actifs ouverts ces dernières années nous ramène à la question posée à nos intervenants : Quels actifs commerciaux pour les investisseurs et les enseignes demain ? 

1re table ronde – La parole aux investisseurs

Pour évoquer  le marché de l’immobilier commercial à court et moyen terme du point de vue des investisseurs, ACCESSITE a invité 3 investisseurs, spécialisés dans les actifs commerciaux : Eric Salmon, Partner chez Baumont Real Estate Capital ; Sébastien Louzier, directeur des investissements chez AEW et Elisabeth Blaise, directrice générale déléguée chez Mercialys.  

Ce qu’ils ont dit 

  • Eric Salmon, Partner au sein de BauMont Real Estate Capital : « Il est vrai que le commerce a été durement touché depuis quelques années et plus récemment par la crise sanitaire. Le paysage des actifs commerciaux a structurellement évolué et les transformations nécessaires sont source d’opportunités. Nous observons une résurgence de l’innovation et un renouvellement dans la diversité des commerçants. Cette variété est essentielle pour la santé des actifs commerciaux. » 
  • Elisabeth Blaise, directrice générale déléguée de Mercialys : « Les actifs commerciaux ont beaucoup à offrir. Ils sont résilients et robustes. Ils offrent un potentiel de rendement significatif, d’autant plus que les taux de capitalisation sont remontés. Je crois fermement que les investisseurs qui comprennent le secteur et ses défis y trouveront de belles opportunités.« 
  • Sébastien Louzier, directeur des investissements pour AEW : « Lorsque nous achetons un actif de commerce, nous regardons les enseignes qui s’y trouvent, si elles nous semblent attractives, solides, rentables. Les difficultés rencontrées par un certain nombre d’enseignes traditionnelles, notamment de prêt à porter, imposent de réfléchir au fait d’accueillir davantage d’activités annexes au commerce dans les centres commerciaux, mais pour autant, les intégrer, c’est prendre le risque de perdre en valeur locative ».

Ce qu’il fallait retenir :

  • Résilience du secteur commercial : celui-ci a démontré une remarquable résilience face à la crise sanitaire, grâce à la diversité et à la robustesse des baux commerciaux.
  • Une adaptation stratégique à plusieurs vitesses : les changements de consommation appellent l’industrie à réfléchir et à s’adapter. Une évolution qui sera cependant plus ou moins rapide et profonde en fonction des typologies d’actifs.
  • Retail Bashing, une chance : pour les investisseurs qui sont prêts à voir au-delà du discours pessimiste dominant sur l’avenir des centres-commerciaux, l’immobilier commercial présente aujourd’hui de très belles opportunités. 
  • Evoluer sans se précipiter : si l’évolution des centres commerciaux est en marche, l’innovation se traduit aujourd’hui par une démarche prudente de test & learn. Il ne s’agit pas de tout révolutionner mais de s’assurer que les nouveautés proposées trouvent bien leur public et portent l’offre existante.
  • Transition numérique : elle est incontournable et son impact sur le commerce immobilier est déjà, et sera demain, considérable. Le commerce physique doit désormais cohabiter et interagir avec son pendant numérique. Cette hybridation dessine le futur du centre commercial.
  • Développement durable : les participants ont insisté sur le fait que le commerce immobilier doit intégrer la transition environnementale. Les nouvelles constructions doivent respecter des normes écologiques strictes et les anciens bâtiments, être réhabilités pour réduire leur impact.
  • Un ROI scruté de près : avec l’augmentation du coût de la dette liée à la remontée des taux d’intérêt, les investisseurs sont plus exigeants quant aux actifs qu’ils achètent pour préserver leur rentabilité. L’équilibre commercial est particulièrement surveillé, tout comme la vulnérabilité des enseignes déjà implantées. La valeur installée ne doit, quant à elle, pas être trop élevée au risque de rendre difficile le retour sur investissement.
  • Les relations humaines au cœur du retail : malgré la digitalisation croissante, faire du shopping reste un acte profondément social. Ce qui est apprécié, au-delà des nouvelles enseignes, ce sont les animations, qui provoquent les échanges entre les visiteurs.

2e table ronde – La parole aux enseignes

Trois responsables du développement d’enseignes — David Moulin, directeur développement, franchise et immobilier de Monoprix, Vincent Combet, directeur Immobilier France de Primark et Hugo Perpère, CEO & fondateur de Nikito, leader du Freestyle Indoor — ont partagé leur vision du marché et les enjeux auxquels les retailers sont confrontés, ainsi que leurs stratégies pour y faire face.

Ce qu’ils ont dit:

  • David Moulin, directeur développement, franchise et immobilier de Monoprix  » La relation entre bailleur et preneur doit être davantage équilibrée. Nous avons besoin d’eux pour exploiter nos magasins et ils ont besoin de nous pour animer leurs espaces. Je milite pour un dialogue ouvert et transparent. C’est ensemble que nous trouverons des solutions pour couvrir les problématiques du retail. Notre objectif commun doit être la continuité de l’exploitation dans le temps ».
  • Hugo Perpère, CEO & Fondateur de Nikito : « Je vois ce qui se passe aujourd’hui dans le retail comme une opportunité de développement de l’activité loisir indoor. Celle-ci a besoin de zones de chalandise facilement accessibles. Les centres commerciaux représentent une très bonne opportunité pour le développement de nos activités. Certes, il faudra encore faire preuve d’un peu de patience, mais le marché pousse dans ce sens. La situation a déjà beaucoup évolué ces 3 dernières années. C’est un segment où il y a de la place pour l’innovation »
  • Vincent Combet, directeur immobilier France de Primark : « Nous sommes très actifs actuellement car notre groupe a décidé fin 2020 d’accélérer fortement son développement aux USA et en Europe, dont la France, après avoir constaté après le premier confinement le retour des consommateurs dans les magasins. Après une période où nous considérions qu’en dessous de 4000 m2 de surface de vente, nous ne pouvions pas implanter un magasin Primark nous avons opté pour plus de flexibilité quant à l’exigence en mètres carrés. Ceci afin d’aller sur de plus petits marchés et de pouvoir considérer toutes les opportunités disponibles, en imaginant de nouveaux formats à partir de 2 500 m². Compte tenu de l’absence de nouveaux développements, nous encourageons vivement les investisseurs propriétaires de centres commerciaux à co-construire avec nous les opportunités permettant d’accueillir nos magasins ».

Ce qu’il fallait retenir :

  • Le développant de nouveaux concepts et l’exploration de nouveaux formats pour répondre aux attentes des consommateurs doivent être envisagés. Il est également crucial de s’adapter au rythme rapide de l’évolution de l’environnement commercial et d’apporter de nouvelles réponses aux changements des comportements de consommation. La prise en compte des attentes de la clientèle locale, notamment, ainsi que des spécificités du centre commercial est, à ce titre, essentielle.
  • Le loisir se développe dans les centres commerciaux : la crise actuelle du commerce représente une opportunité de développement pour le secteur du loisir. Le changement de perspective des propriétaires de centres commerciaux, qui sont désormais plus ouverts à l’introduction de ce type d’activité, offre de nouvelles possibilités à cette industrie. La consolidation sur ce marché et la mise en place de grands espaces pour ces activités au sein des centres commerciaux et retail parks apparaissent ainsi comme des tendances clés.
  • Les enjeux de l’inflation : il s’agit pour les enseignes deréaliser le bon dosage des CAPEX pour ne pas être trop en avance par rapport au rythme du marché. Il faut également parvenir à maintenir ses promesses dans un contexte d’exigences croissantes en matière de RSE et de réglementations. Enfin, les centres commerciaux doivent résoudre leurs problèmes de vacance qui peuvent affecter la valeur de l’actif commercial et sa fréquentation.
  • Entretenir le dialogue avec les bailleurs : tous les intervenants prônent un dialogue transparent et une relation équilibrée entre eux, afin de trouver des solutions aux problèmes communs et maintenir ainsi une exploitation saine à long terme.