Métamorphose de l’immobilier commercial : perspectives et défis
Une discussion éclairée sur l’avenir du commerce
Le secteur commercial subit actuellement une transformation majeure. À cet égard, Nexity a réuni autour de la table, le 5 mai dernier, 3 experts du sujet pour en débattre. Alexandre Séjourné, Directeur Général d’ACCESSITE, Thierry Cahierre, président de REDEVCO France, et Sandra Roumi, présidente déléguée et directrice de la publication Business Immo ont ainsi échangé pendant plus d’une heure sur l’avenir du centre commercial. Une conversation passionnante qui s’est appuyée sur la publication du livre blanc d’ACCESSITE intitulé « Le centre commercial en 2030 ».
Le commerce : une entité en mouvement
Depuis toujours, le commerce évolue en fonction des fluctuations de la consommation. Il est donc cohérent que cette transformation se poursuive. Il y a 15 ans, le centre commercial, tel que nous le connaissons depuis les années 70, a commencé à s’interroger sur son avenir, avec l’apparition du e-commerce. La pandémie de 2020 n’a fait qu’exacerber les difficultés rencontrées par le secteur. Pour autant, le retour massif du public dans les commerces dès leur réouverture a témoigné de sa résilience. Il n’en reste pas moins qu’il est désormais impératif que le retail, et tout particulièrement le centre commercial, se réinvente, afin de demeurer un lieu d’échanges et de valeurs. Mais les propriétaires et investisseurs sont-ils disposés à façonner cette nouvelle ère du commerce ?
Vers quelle transformation du centre-commercial ?
Dans son livre blanc, « Le centre-commercial en 2030 », ACCESSITE examine les fondations sur lesquelles ce lieu de commerce doit se réinventer :
- La refonte de l’expérience et du parcours client
- L’élaboration d’une gamme de services innovants
- L’instauration de passerelles entre pratiques digitales et physiques
- L’intégration d’activités inédites pour attirer de nouveaux publics
On compte aujourd’hui plus de 800 sites répartis en plusieurs catégories – grands centres régionaux, centres métropolitains, en périphérie de villes moyennes et en cœur de ville. Chacun possède ses atouts et ses propres défis. La transformation ne se fera donc pas de façon uniforme. Si les grands principes sont désormais connus — expérience, omnicanalité, mixité des usages, durabilité —, il faudra placer ces curseurs de manière appropriée, au cas par cas.
Comme le souligne ACCESSITE dans son livre blanc, la clé réside dans une approche centrée sur le consommateur. Les professionnels du secteur doivent se défaire d’une attitude paternaliste, qui consiste à imposer leur vision du commerce, et se concentrer sur l’étude des grandes tendances culturelles et sociétales pour s’y adapter. Le consommateur doit clairement revenir au centre du jeu.
Le Chronotope : un centre commercial évolutif
La notion de « Chronotope » se développe au sein des centres commerciaux. Celle-ci désigne un lieu qui s’adapte au fil de la journée en fonction des besoins de ses visiteurs. Les zones purement commerciales s’effacent ainsi au profit d’une mixité des usages. Des activités, autrefois dispersées dans plusieurs zones géographiques de la ville, tendent à se concentrer en un seul lieu.
C’est ainsi que nous voyons émerger dans les centres commerciaux, des salles de sport, des espaces de coworking, des activités de loisir, mais aussi des centres de soins et une offre de restauration plus premium. La Promenade Sainte-Catherine à Bordeaux, par exemple, a été conçue dans cette idée de recréer un lieu de centralité dans la ville où les gens se rassemblent pour échanger, discuter et bien sûr, faire du commerce.
Autre exemple, à Lille, où une surface de 25 000 m² a été transformée pour passer d’un site entièrement dédié au commerce à un lieu multi-usage incluant hôtellerie, coworking, loisirs et restauration. Le centre commercial se décloisonne progressivement et s’ouvre sur la ville.
Le défi de la transition écologique
L’une des variables non financières de cette transformation est la diminution de l’empreinte carbone des centres commerciaux, portée par différentes réglementations. Dans un contexte de préoccupation croissante autour de l’avenir de notre planète et de notre espèce, la nécessité de rénover les centres commerciaux et de les rendre plus durables se heurte aux contraintes économiques.
Les investisseurs doivent cependant comprendre que la valeur de leur actif commercial ne peut que se dégrader si aucune action n’est entreprise. Il est essentiel d’anticiper le fait que les consommateurs dans 10 ans ne se rendront plus dans les centres commerciaux qui n’auront pas effectué leur transition écologique. Il est crucial d’élaborer un programme de rénovation qui prenne largement en compte cette dimension. Ceux qui refuseront d’investir prendront un gros risque pour l’attractivité de leur actif.
Les vastes aires de stationnement, notamment, qui ont défini l’offre commerciale depuis 50 ans, sont appelées à évoluer. Il faut repenser la circulation autour des centres, afin de les rendre accessibles via des mobilités douces. Tout cela représente des coûts conséquents, qui doivent être anticipés et provisionnés.
De nouveaux arbitrages en matière de commercialisation à mener
De nouveaux arbitrages doivent également être effectués concernant les enseignes accueillies dans les centres commerciaux. Nous assistons à une évolution notable avec l’arrivée de nouveaux acteurs, tels que les Digital Native Vertical Brands (DNVB). Un paradoxe, alors qu’il y a une quinzaine d’années, tout le monde pensait que le e-commerce allait éclipser les enseignes physiques. Aujourd’hui, le centre commercial devient pourtant un passage obligé pour ces pure players, qui se doivent d’aller à la rencontre de leur public.
Ces marques intègrent ainsi le magasin physique dans leur stratégie de merchandising et le développement de nouvelles offres. En s’implantant provisoirement dans des centres commerciaux, ces acteurs attirent un nouveau public, plus jeune et connecté. Cette évolution nécessite cependant une révision des conditions de baux commerciaux, qui ne sont pas adaptés à ces marques qui s’implantent pour des durées plus courtes, de 3 ou 6 mois, voire 1 an.
À Bordeaux, La Promenade Sainte-Catherine cherche à leur faire une place. Un nouveau concept a d’ailleurs été créé, baptisé « Stories ». Cet espace est réservé à des marques ou à des associations locales (La Croix rouge, Emmaüs…) qui souhaitent disposer d’un ancrage physique pour présenter leur offre ou exprimer leurs idées. Ce lieu est mis à la disposition des locataires de manière agile, permettant également d’événementialiser le centre commercial : un concept gagnant-gagnant.
L’agilité des bailleurs en question
Face à ces évolutions, une meilleure agilité des bailleurs est requise. Ces mutations remettent en effet en question la notion même de valeur locative des cellules, qui était jusqu’à présent définie par le nombre de m 2 et le chiffre d’affaires réalisé, corrélé à la fréquentation du centre. Or, une part du CA des enseignes est désormais effectuée en ligne, tandis que l’autre se fait en magasin. Il y a donc nécessité à repenser le modèle de commercialisation.
Seulement, les bailleurs s’attendent à un retour sur investissement. Les activités annexes (loisir, salle de sport, coworking, centre médical…) ne peuvent pas se permettre de débourser les mêmes loyers qu’une grande enseigne nationale. La question du modèle financier demeure donc en suspens. Alain Taravella, PDG d’Altarea, a répété récemment lors d’une interview que les centres commerciaux « vont devoir apprendre à gagner moins d’argent ». Un changement du système de valeurs doit donc s’opérer.
De centre commercial à centre de vie
Le centre commercial est amené à devenir un lieu de communautés, où la valeur réside dans les personnes qui le fréquentent chaque jour. Il devra être résolument tourné vers l’avenir, responsable socialement et écologiquement. Le centre commercial lui-même deviendra une marque avec des valeurs et un positionnement fort. D’ici à 2030, on peut s’attendre à ce que la créativité soit au cœur des projets. Cela nécessitera une grande flexibilité de la part des bailleurs ; un changement considérable, qui doit être engagé sans attendre, car l’immobilier commercial se définit par son temps long.
Curieusement, le centre commercial de demain pourrait bien ressembler à ce que les Romains faisaient à l’époque de l’Empire, avec l’Agora : un lieu rassemblant les centres administratifs, de soins et de commerce. On revient donc à un concept vieux de 2000 ans : et si les Romains avaient tout compris ?
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